Osho

Une sélection de propos d’Osho qui permettent de comprendre sa vie et sa vision.

Je n’ai jamais été spirituel au sens où vous comprenez ce mot. Je ne suis jamais allé dans des temples ou dans des églises, lu des écritures, suivi certaines pratiques en vue de trouver la vérité, ni prié Dieu. Cela n’a pas du tout été mon chemin. Pour moi, la spiritualité a une connotation totalement différente. Elle requiert une individualité honnête. Elle ne permet aucune sorte de dépendance. Elle crée une liberté en soi, quel qu’en soit le prix. Elle ne se trouve jamais dans la masse, mais dans la solitude, car une masse n’a jamais découvert une quelconque vérité.
Pour moi, spirituel, signifie simplement se découvrir soi-même. Je n’ai jamais autorisé qui que ce soit à faire ce travail pour moi – car personne ne peut faire ce travail pour vous; vous devez le faire vous-même.

Osho

ISBN 978-2-940095-20-9
368 pages

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Introduction

On a souvent demandé à Osho pourquoi il n’écrivait pas son autobiographie, ou pourquoi il n’accorderait pas au moins une série d’interviews afin que quelqu’un d’autre puisse rédiger un récit historique de sa vie. Il éludait toujours ces questions d’un revers de la main : ce sont les vérités éternelles qui sont importantes, disait-il, et non les articles de journaux qu’on collectionne et qu’on appelle « histoire ». Il disait encore que sa biographie se trouvait dans l’ensemble de son oeuvre – dans les centaines de volumes de ses discours – et dans les vies transformées des gens qu’il avait touchés.Néanmoins, l’esprit humain aspire à donner un sens aux événements qui surviennent dans le temps. Nous voulons saisir un contexte dans lequel nous pouvons nous persuader que nous comprenons le sens des choses qui arrivent – surtout quand ces événements ont l’air d’être contradictoires, surprenants, inhabituels. Ce volume témoigne que le temps est venu d’offrir ce contexte pour comprendre Osho et son oeuvre.

Dix ans se sont écoulés depuis qu’Osho s’est préparé à quitter le corps qui l’a servi pendant cinquante-neuf ans « aussi calmement que s’il faisait sa valise pour passer un week-end à la campagne », selon les paroles de son médecin personnel. Il est certain que cette biographie n’aurait pu être rassemblée sans le passage du temps et les profonds changements qui en ont résulté. Depuis qu’Osho a plié bagages pour son week-end à la campagne, la CNN et l’internet sont apparus. La vision utopique dont Osho a si souvent parlé – d’un monde sans les divisions des frontières entre nations, races ou religions, sexe ou croyances – est aujourd’hui pour le moins imaginable, même si elle n’est pas encore une réalité. La méditation, dont Osho a répété avec insistance qu’elle réside au coeur même de son message, n’est pas que le vague intérêt bizarre de quelques excentriques, on lui reconnaît toujours plus ses bienfaits pour chacun, des hommes d’affaires stressés aux malades cancéreux. En d’autres termes, bien qu’Osho soit encore sans aucun doute un homme en avance sur son temps, le temps l’a au moins suffisamment rattrapé pour que davantage de gens aient la possibilité de comprendre sa perspective unique et sa vision.

D’un point de vue plus pratique, le temps et la technologie ont permis à ceux qui conservent son oeuvre immense de digitaliser et de rendre accessibles à la recherche près de cinq mille heures de ses discours enregistrés en anglais, plus des centaines d’autres en hindi au fur et à mesure de leurs traductions. Cela signifie qu’en quelques secondes on peut savoir que dans ces discours, Osho utilise vingt-cinq mille fois des variations du mot méditation, et près de quarante-deux mille fois le mot amour. Les variations du mot sexe – sujet qui, en Inde dans les années soixante, semblait inconvenant de la part d’un mystique – n’apparaissent que neuf mille trois cents fois, deux mille fois plus que les références à la politique et aux politiciens.

Il est évident que de rechercher les textes où Osho parle directement de sa vie demande plus d’intelligence humaine que l’ordinateur n’en peut fournir. Sans les trois années de travail consacrées spécifiquement à cette tâche, ce livre n’aurait pu voir le jour. Et finalement, construire une autobiographie d’après le matériel disponible – pour honorer la compréhension d’Osho quant à l’importance relative de la « vérité » par rapport aux « faits », de l’éternel face au momentané – exige une volonté un peu téméraire d’entreprendre l’impossible.

Par exemple : après son diplôme universitaire, durant un certain nombre d’années, Osho a enseigné la philosophie. Un esprit qui se limite aux faits déclare qu’« il fut professeur de philosophie », et se contente de savoir ainsi quelque chose d’important sur sa personne. Mais en ce qui concerne Osho, il aurait tout aussi bien pu être un cordonnier ou un charpentier. L’important n’est pas ce qu’il fait, mais qui il est. L’esprit factuel veut définir les gens par ce qu’ils font plus que par ce qu’ils sont, par les possessions qu’ils acquièrent dans la vie plus que par la compréhension qu’ils emportent en mourant. Mais c’est précisément la dimension de « l’être » – non pas celle du « faire » et de « l’avoir » – qui est la préoccupation centrale d’Osho. Dans la mesure où nous donnons un sens aux événements extérieurs de sa vie en fonction de nos propres valeurs du « faire » et de « l’avoir », nous ne pouvons que le méconnaître.

Mais mises à part les vérités éternelles, le fait est qu’Osho s’est formé non à faire des souliers ou des meubles, mais à s’exprimer en mots. Aussi bien ses amis que ses ennemis admettent qu’il le fait avec une éloquence peu commune, avec perspicacité et humour. Il aurait été possible, et même facile, de choisir les mots « justes » pour représenter sa vie, si Osho avait essayé d’enseigner une philosophie consistante. Ce n’est pas le cas. Cela aurait été possible s’il avait fait partie d’une tradition qu’il cherchait à défendre ou s’il avait déclaré qu’il était une sorte de messager surnaturel ou de prophète venu pour fonder une nouvelle tradition. Rien ne saurait être plus éloigné de la vérité. Au contraire, il n’a cessé de souligner que non seulement il ne faisait partie d’aucune tradition mais qu’il a fait tout ce qui est humainement possible pour éviter la création d’une tradition autour de lui lorsqu’il ne sera plus là.

Ainsi les paroles de ce livre ne prétendent pas être – ne peuvent être, de par la nature même du sujet – la réponse définitive à la question « Qui est Osho ? » Elles sont plutôt un guide dans la poursuite incessante de cette question, dans le contexte de l’intemporel aussi bien que du temporel, dans le contexte de « l’être » aussi bien que du « faire ». Finalement, dit Osho, nous ne saurons qui il est que lorsque nous saurons qui nous sommes. En nous léguant ce défi, il nous invite à apprendre de sa vie ce que nous pouvons, mais à reconnaître que cela n’a de sens que dans la mesure où elle nous incite à apprendre davantage sur nous mêmes.

Sarito Carol Neiman

Il peut sembler inenvisageable de conjuguer l’état lénitif démentalisé escompté par Osho avec l’hyperactivité et le matérialisme balafrant nos sociétés, ankylosées par divers déterminismes et idéologies, axées sur la performance et la transformation de l’énergie humaine en PIB. Mais rien qu’une demi-heure de tentative méditative permet de désamorcer l’hubris dévorateur, de disperser ce qui enserre le cœur et oppresse l’esprit, de ressouder les failles, de ravauder l’être, cet androïde fébrile, borgne et égrotant, cet automate masqué, fissuré et fragmenté en autant de mots amers qu’il débite, en autant de pensées aigres qu’il ensemence, en autant d’émotions parasites qu’il éprouve, en autant d’informations futiles qu’il reçoit. Rien que le fait de hurler dans sa voiture, de chanter sous sa douche, de danser dans sa chambre, de respirer plus amplement libère l’esprit, le déleste de son trop-plein fourmillant. Juste quelques minutes durant… décrocher les amarres de l’intellect et se laisser bercer par le silence intérieur.

Cyrille Godefroy

Rédacteur en chef adjoint, La Cause Littéraire

Préface

La première chose que vous devez comprendre, c’est la différence entre le fait et la vérité. L’histoire ordinaire s’occupe des faits – de ce qui s’est réellement passé dans le monde de la matière, les incidents. Elle ne s’occupe pas de la vérité, car la vérité ne se révèle pas dans le monde de la matière, mais dans la conscience. Et l’homme n’est pas encore assez mûr pour s’occuper des événements de la conscience.Il prend certainement note des événements qui ont lieu dans le temps et dans l’espace ; ceux-ci sont des faits. Mais il n’est pas assez mûr, ni assez intuitif pour prendre en compte ce qui se passe au-delà du temps et au-delà de l’espace – en d’autres termes, ce qui se passe au-delà du mental, dans la conscience. Un jour, nous devrons écrire toute l’histoire à partir d’une orientation complètement différente, car les faits sont triviaux – bien qu’ils soient matériels, ils sont sans importance. Et les vérités sont immatérielles, mais ce sont elles qui importent.

La nouvelle orientation d’une histoire future s’intéressera à savoir ce qui s’est passé à l’intérieur de Gautama Bouddha quand il s’est éveillé, ce qui continua à se passer pendant qu’il était dans son corps les quarante-deux ans suivant son illumination. Et ce qui s’est passé pendant ces quarante-deux années ne s’interrompra pas simplement parce que le corps meurt. Cela n’avait aucun rapport avec le corps, c’était un phénomène de la conscience, et la conscience perdure. Le pèlerinage de la conscience est sans fin.Aussi ce qui se passait dans la conscience, à l’intérieur du corps, se poursuivra hors du corps. C’est simple à comprendre.

Cette histoire est une histoire d’événements intérieurs.

Extraits

L’illumination, une discontinuité avec le passé.

Il y a une belle histoire bouddhiste :

Dans une certaine ville, une très belle femme apparut soudain comme venant de nulle part. Personne ne savait d’où elle venait ; ses origines étaient complètement inconnues. Mais elle était si belle, si enchanteresse que personne ne se posa même la question. Les gens se rassemblèrent, toute la ville se réunit et tous les jeunes hommes – ils étaient presque trois cents – voulurent épouser cette femme.
La femme dit : « Regardez, je suis seule et vous êtes trois cents. Je ne puis épouser que l’un de vous, alors faites une chose. Je reviendrai demain ; je vous donne vingt-quatre heures. Si l’un de vous parvient à répéter le Sutra du Lotus de Bouddha, je l’épouserai. »

Tous les jeunes gens se précipitèrent chez eux ; ils ne purent ni manger ni dormir, toute la nuit ils récitèrent le sutra, ils essayèrent de l’apprendre par coeur. Dix réussirent. Le lendemain matin, la femme vint et ces dix personnes proposèrent de le réciter. La femme écouta. Ils avaient réussi.

Elle dit : « C’est bien, mais je suis seule. Comment pourrais-je épouser dix personnes ? Je vous donne encore vingt-quatre heures. J’épouserai celui qui pourra également expliquer le sens du Sutra du Lotus. Essayez donc de le comprendre – car réciter c’est quelque chose de facile, c’est répéter mécaniquement quelque chose dont vous ne comprenez pas le sens. »
Le temps était fort court – une nuit seulement ! et le sutra du Lotus est long. Mais quand on est amoureux on peut faire n’importe quoi. Ils repartirent en hâte et firent de leur mieux. Le jour suivant, trois personnes se présentèrent. Ils en avaient compris le sens.
Et la femme dit :  » La difficulté subsiste encore. Votre nombre est réduit, mais cela reste difficile. De trois cents à trois c’est un grand progrès; mais de nouveau, je ne peux pas épouser trois personnes – je ne peux me marier qu’avec un seul. Il faut donc encore vingt-quatre heures… J’épouserai celui qui non seulement aura compris le sens du sutra, mais qui l’aura également goûté. Alors essayez d’en goûter le sens pendant ces vingt-quatre heures. Vous l’expliquez, mais cette explication est intellectuelle. Bien, c’est mieux qu’hier – vous en avez une certaine compréhension – mais la compréhension est intellectuelle. J’aimerais y trouver un certain goût méditatif, un certain parfum. Je voudrais que le lotus pénètre votre présence, que vous deveniez un peu ce lotus. Je voudrais en respirer le parfum. Revenez donc demain. « 
Un seul revint, il avait réussi. Le femme le conduisit à sa maison, hors de la ville. L’homme n’avait jamais vu cette maison ; elle était très belle, c’était presque un pays de rêve. Et les parents de la femme se tenaient à l’entrée. Ils reçurent le jeune homme et lui dirent:  » Nous sommes très heureux. « 
La femme entra dans la maison, et l’homme bavarda un peu avec les parents. Puis les parents dirent :  » Allez-y. Elle doit vous attendre. Voici sa chambre.  » Ils la lui montrèrent. Il alla ouvrir la porte, mais il n’y avait personne. La chambre était vide. Une porte donnait sur le jardin. Il regarda – peut-être était-elle allée au jardin. Oui, elle avait dû s’y rendre, car il y avait des traces de pas sur le chemin. Il suivit donc ces traces. Il marcha presque un kilomètre. Il arriva au bout du jardin et se trouva sur la rive d’une belle rivière – mais la femme n’était pas là. Les traces avaient disparu. Il ne restait que deux chaussures dorées qui lui appartenaient.
Alors, il fut dérouté. Que s’était-il donc passé ? Il regarda derrière lui – il n’y avait ni jardin, ni maison, ni parents, rien. Tout avait disparu. Il regarda à nouveau. Les chaussures n’étaient plus là, la rivière avait disparu. Il n’y avait que le vide – et un grand rire.
Il se mit aussi à rire. Il se maria.
C’est une belle histoire bouddhiste. Il épousa le vide, il épousa la vacuité. C’est le mariage que tous les grands saints ont recherché. C’est l’instant où vous devenez  » la fiancée du Christ « , ou la gopi de krishna. Mais tout disparaît – le chemin, le jardin, la maison, la femme, même les traces de pas. Tout disparaît. Il n’y a plus qu’un rire, un rire qui jaillit des entrailles de l’univers.

Enfant déjà, j’étais amoureux du silence.

Je restais simplement assis en silence autant que je le pouvais. Naturellement, ma famille pensait que je deviendrais bon à rien – et ils avaient raison ! J’ai certainement prouvé que je n’étais bon à rien, mais je ne le regrette pas.
Parfois même, quand j’étais assis, ma mère venait me dire quelque chose comme :  » On dirait qu’il n’y a personne dans cette maison. J’ai besoin que quelqu’un aille acheter des légumes au marché.  » J’étais assis en face d’elle et je répondais :  » Si je vois quelqu’un je lui dirai. « 
C’était clair que ma présence ne signifiait rien ; que je sois là ou non n’avait aucune importance. Une ou deux fois, ils essayèrent, puis ils conclurent :  » Il vaut mieux le laisser tranquille et ne pas s’occuper de lui. « Le matin, ils m’envoyaient chercher des légumes. Et le soir, je venais leur dire : « J’ai oublié ce que vous m’avez demandé d’aller chercher, et maintenant le marché est fermé… »
Ma mère dit : « Ce n’est pas de ta faute, c’est de la nôtre. Nous t’avons attendu toute la journée, mais nous n’aurions jamais dû te demander quoi que ce soit. Où es-tu allé ? »
Je dis : « En sortant de la maison, tout près, il y a un très bel arbre bodhi. » – cette sorte d’arbre sous lequel Gautam Bouddha s’est éveillé. L’arbre reçut le nom de bodhi à cause de Gautam Bouddha. On ne sait pas comment il s’appelait auparavant ; il devait avoir un nom, mais après Bouddha, on l’associa à lui.
C’était un très bel arbre, et il était si tentant à mes yeux. Il y avait toujours un tel silence, une telle fraîcheur sous ses ombrages, il n’y avait personne pour me déranger, si bien que je ne pouvais pas passer sans m’y asseoir un moment. Et je crois que ces moments de paix ont dû parfois durer toute la journée.
Après avoir été déçus deux ou trois fois, ils se dirent :  » Il vaut mieux ne pas l’ennuyer.  » Et je fus très heureux qu’ils aient accepté le fait que j’étais pratiquement inexistant. Cela me donna une immense liberté. Personne n’attendait rien de moi. Quand personne n’attend rien de vous, vous tombez dans le silence. Le monde vous a accepté ; désormais on n’attend plus rien de vous.
Parfois, quand je rentrais tard à la maison, ils me cherchaient à deux endroits. L’un était la maison de ma nani, et l’autre était l’arbre bodhi – et c’est pour cette raison que je grimpais dans l’arbre et m’asseyais au sommet. Ils venaient, regardaient tout autour et disaient : « Il n’a pas l’air d’être là. »
Et moi- même j’acquiesçais : je disais : « Oui, c’est vrai, je ne suis pas là. »

Ma première expérience hors du corps, je l’ai eue en tombant d’un arbre.

J’avais l’habitude de méditer juste derrière l’université où il y avait un beau coteau, très silencieux, avec trois grands arbres; personne ne venait là. Je m’asseyais dans l’un des arbres et je méditais. Un jour, je vis tout à coup que j’étais assis dans l’arbre, et qu’en même temps mon corps était tombé par terre, il gisait sur le sol. Pendant un moment, je n’ai pas su comment y rentrer. Par pure coïncidence, une femme qui apportait le lait à l’université du village voisin avait vu mon corps tomber, et elle s’approcha. Elle devait avoir entendu dire que quand le corps intérieur se sépare du corps extérieur, si vous frottez entre les yeux, à l’endroit du troisième oeil, c’est là que se trouve la porte. L’esprit qui est parti pourra revenir.
Elle frotta donc mon troisième oeil. Je pouvais la voir frottant mon front, et un instant plus tard, j’ouvris les yeux, je la remerciai et lui demandai où elle avait appris à faire cela.
Elle l’avait simplement entendu dire. C’était un village primitif, mais elle avait entendu l’idée traditionnelle que le troisième oeil est l’endroit par où on quitte le corps et par où on peut y revenir.

Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai cherché la porte de l’illumination – dès mon enfance.

J’ai dû en garder l’idée de ma vie passée, car je ne me souviens pas d’un seul jour dans mon enfance, dans cette vie, où je ne l’aie pas recherchée. Naturellement, tout le monde croyait que j’étais fou. Je n’ai jamais joué avec d’autres enfants. Je n’ai jamais pu trouver le moyen de communiquer avec les enfants de mon âge. Ils me semblaient stupides, faisant toutes sortes de choses idiotes. Je n’ai jamais fait partie d’une équipe de football, de volleyball ou de hockey. Bien sûr, ils me prenaient tous pour un fou. Quant à moi, en grandissant, je me mis à considérer le monde entier comme fou.
La dernière année, quand j’avais vingt et un an, fut une période de dépression, puis de percée. Naturellement, ceux qui m’aimaient – ma famille, mes amis, mes professeurs – pouvaient comprendre un peu ce qui se passait en moi. Pourquoi j’étais si différent des autres enfants, pourquoi je restais assis des heures les yeux fermés, pourquoi je m’asseyais au bord de la rivière en regardant le ciel pendant des heures, parfois toute la nuit. Naturellement, les gens qui ne pouvaient comprendre de telles chose – et je ne m’attendais pas à ce qu’ils les comprennent – me croyaient fou.
J’étais presque devenu absent dans ma propre maison. Peu à peu, ils cessèrent de me demander quoi que ce soit et ils eurent l’impression que je n’étais pas là. Et j’aimais beaucoup la façon dont j’étais devenu rien, personne, une absence.
Cette année-là fut terrible. J’étais entouré de néant, de vide. J’avais perdu tout contact avec le monde. Si quelqu’un me rappelait de prendre un bain, je prenais un bain pendant des heures. Alors, ils devaient frapper à la porte :  » Maintenant, sors de la salle de bain ! Tu t’es baigné pour un mois ! Sors !  » S’ils me rappelaient de manger, je mangeais ; sinon je restais des jours sans manger. Ce n’est pas que je jeûnais – je n’avais aucune idée sur la nourriture et le jeûne. Ma seule préoccupation, c’était d’aller toujours plus profondément en moi-même. Et la porte était si magnétique, l’attraction était si puissante – comme ce que les physiciens appellent maintenant des trous noirs.
Ils disent qu’il y a des trous noirs dans l’existence. Si par hasard une étoile arrive près d’un trou noir, elle est attirée en lui ; il n’y a pas moyen de résister à cette attraction, et aller dans un trou noir, c’est aller vers la destruction. Nous ne savons pas ce qui se passe de l’autre côté. Mon idée, qu’un physicien devra un jour prouver, c’est que ce qui est un trou noir de ce côté est un trou blanc de l’autre. Le trou ne peut pas exister que d’un seul côté ; c’est un tunnel. Je l’ai expérimenté en moi. Peut-être qu’à une plus vaste échelle, la même chose se passe dans l’univers. L’étoile meurt ; de notre point de vue, elle disparaît. Mais à chaque instant, de nouvelles étoiles naissent. D’où viennent-elles ? De quelle matrice ? Selon une simple arithmétique, le trou noir n’est qu’une matrice – l’ancien y disparaît et le neuf y naît.
J’ai éprouvé cela en moi – je ne suis pas un physicien. Cette année de puissante attraction m’éloigna de plus en plus des gens, au point que je ne reconnaissais pas ma propre mère, pas plus que mon père ; parfois j’oubliais même mon nom. Je faisais un effort, mais je n’arrivais pas à retrouver mon nom. Naturellement durant toute cette année, aux yeux de tous les autres gens j’étais fou. Mais pour moi cette folie devint méditation, et à son sommet, cette folie ouvrit la porte.

On me conduisit chez un Vaidya, un médecin ayurvédique.

En fait, on me conduisit chez de nombreux médecins, mais seul un vaidya dit à mon père :  » Il n’est pas malade. Ne perdez pas votre temps.  » Bien sûr, ils me traînaient d’un endroit à l’autre. Et on me donnait souvent des remèdes, mais je disais à mon père :  » Pourquoi t’inquiètes-tu ? Je vais parfaitement bien..  » Mais personne ne me croyait. Ils disaient :  » Tais-toi. Prends donc ce remède, quel mal peut-il te faire ?  » Je prenais donc toutes sortes de médicaments.
Il n’y eut qu’un vaidya qui fut un homme d’intuition. – son nom était Pundit Bhaghirat Prasad. Ce vieil homme est mort, mais il était doué d’une rare perspicacité. Il me regarda et dit :  » Il n’est pas malade.  » Et il se mit à pleurer en disant :  » Moi-même, j’ai recherché cet état. Il a de la chance. Dans cette vie, j’ai raté cet état. Ne l’amenez plus chez personne. Il est en train d’arriver chez lui.  » Et il versa des larmes de joie.
C’était un chercheur. Il avait cherché à travers tout le pays. Sa vie entière avait été une recherche, une exploration. Il avait une certaine idée sur le sujet. Il devint mon protecteur – mon protecteur contre les docteurs et autres thérapeutes. Il dit à mon père :  » Laissez-le moi, j’en prendrai soin.  » Il ne me donna jamais de remèdes. Quand mon père insistait, il se bornait à me donner des pilules de sucre en disant :  » Ce sont des pilules de sucre. Tu peux les prendre, juste pour les rassurer. Elles ne te feront pas de mal, elle ne t’aideront pas non plus. En fait, il n’y a pas d’aide possible.

Quand vous entrez pour la première fois dans le monde du non-mental, cela ressemble à de la folie – la nuit obscure de l’âme, la folle nuit de l’âme.

Toutes les religions ont noté ce fait ; c’est pourquoi toutes les religions insistent sur la nécessité de trouver un maître avant de pénétrer dans le monde du non-mental – car il sera là pour vous aider, pour vous soutenir. Vous tomberez en morceaux, mais il sera là pour vous encourager, pour vous donner de l’espoir. Il sera là pour vous interpréter le nouveau. C’est à cela que sert un maître : à interpréter ce qui ne peut pas l’être, à indiquer ce qui ne peut être dit, à montrer ce qui est inexprimable. Il sera là, il créera des méthodes et des chemins pour vous permettre de poursuivre votre route – sinon, vous risquez de vous en échapper.
Et sachez qu’il n’y a pas d’échappatoire possible. Si vous fuyez, vous deviendrez fou. Les soufis appellent ces hommes des mastas. En Inde, on les appelle des paramahansas fous. Vous ne pouvez pas revenir en arrière, car il n’y a plus rien derrière et vous ne pouvez pas avancer, car tout est obscur. Vous êtes bloqué. C’est pourquoi Bouddha dit :  » Heureux celui qui a trouvé un maître. « 
Moi-même, j’ai travaillé sans maître. J’ai cherché, mais je n’en ai pas trouvé. Ce n’est pas que je n’aie pas cherché ; j’ai cherché assez longtemps, mais je n’en ai pas trouvé. C’est très rare de trouver un maître, de trouver un être qui est devenu un non-être, une présence qui est presque une absence. C’est rare de trouver un homme qui est simplement une porte sur le divin, une porte ouverte qui ne vous fera pas obstacle, à travers laquelle vous pourrez passer. C’est très difficile.
Les sikhs appellent leur temple le gurudwara, la porte du maître. C’est exactement ce qu’est le maître – la porte. Jésus répète sans cesse :  » Je suis la porte, je suis la voie, je suis la vérité. Suivez-moi, passez à travers moi. Car à moins que vous ne passiez à travers moi, vous n’atteindrez pas le but. « 
Oui, parfois il arrive qu’une personne doive travailler sans maître. Si le maître n’est pas disponible, on doit travailler sans maître, mais alors le voyage est très hasardeux.
Pendant un an, j’étais dans un tel état qu’il était presque impossible de savoir ce qui se passait. Durant toute une année, il me fut même difficile de rester en vie. Cela m’était très difficile – car tout appétit avait disparu. Les jours passaient sans que je ne ressente ni faim ni soif. Je devais me forcer à boire et à manger. Le corps était tellement non-existentiel que je devais me faire mal pour sentir que j’étais encore dans mon corps. Je devais frapper ma tête contre le mur pour voir si ma tête était toujours là. C’était seulement quand cela me faisait mal que j’étais un peu dans mon corps.
Chaque matin et chaque soir, je courais sur huit à dix kilomètres. Les gens croyaient que j’étais fou. Pourquoi est-ce que je courais tellement ? Seize kilomètres par jour ! C’était simplement pour me sentir moi-même, pour sentir que j’existais toujours, pour ne pas perdre contact avec moi-même – pour attendre simplement que mes yeux s’adaptent à ce qui était en train de naître.
Et je devais rester proche de moi-même. Je ne parlais à personne, car tout était devenu si inconsistant qu’il m’était même difficile de formuler une seule phrase. Au milieu de la phrase, j’oubliais ce que j’étais en train de dire. Au milieu de la route, j’oubliais où j’allais. Alors, je devais rentrer. Je lisais un livre – je lisais cinquante pages et soudain je réalisais :  » Qu’est-ce que je suis en train de lire ? Je ne me souviens de rien.  » C’était ma situation…La porte du cabinet du psychiatre s’ouvrit brusquement et un homme se précipita.  » Docteur !  » s’écria-t-il  » Vous devez m’aider ! Je suis sûr que je perds la tête. Je ne me souviens plus de rien – de ce qui s’est passé il y a un an, ou même de ce qui s’est passé hier. Je dois devenir fou ! « 
 » Hmm  » soupira le psychiatre,  » Dites-moi juste quand vous êtes devenu conscient de ce problème ? « 
L’homme eut l’air embarrassé.  » Quel problème ? « 

C’était ma situation ! Il m’était même difficile de terminer une phrase. Je devais rester enfermé dans ma chambre. Je m’appliquai à ne pas parler, à ne rien dire, car dire quelque chose, c’était dire que j’étais fou. Cela persista pendant un an. Je restais simplement couché par terre à regarder le plafond, à compter de un à cent et de cent à un. Pouvoir encore compter, c’était au moins quelque chose. Sans cesse , j’oubliais de nouveau. Il me fallut un an pour retrouver ma capacité de concentration, pour retrouver une perspective.
Cela arriva. Ce fut un miracle. Mais ce fut difficile. Il n’y avait personne pour me soutenir, personne pour me dire où j’allais et ce qui se passait. En fait, tout le monde était contre moi – mes professeurs, mes amis, ceux qui me voulaient du bien. Tous étaient contre. Mais ils ne pouvaient rien faire, il pouvaient seulement me condamner, ils pouvaient seulement me demander ce que je faisais.
Je ne faisais rien ! Maintenant cela me dépassait ; cela arrivait. J’avais fait quelque chose ; sans le savoir j’avais frappé à la porte, et la porte s’était ouverte. J’avais médité pendant des années, assis en silence, sans rien faire, et peu à peu j’arrivais dans cet espace où vous êtes, et vous ne faites rien ; vous êtes simplement là, une présence, un observateur.
Vous n’êtes même pas un observateur parce que vous n’observez pas – vous êtes juste une présence. Les mots sont inadéquats, car quel que soit le mot employé, il semble que l’on fasse quelque chose..
Non, je ne faisais rien. J’étais simplement couché, ou assis, ou en train de marcher – tout au fond il n’y avait pas d’acteur. J’avais perdu toute ambition ; il n’y avait aucun désir d’être quelqu’un, aucun désir de réussir. J’étais simplement jeté en moi-même. C’était une vacuité, et la vacuité vous rend fou – mais la vacuité est la seule porte qui conduit à Dieu. Cela signifie que seuls ceux qui sont prêts à devenir fous atteignent le but, personne d’autre.

Vous me demandez: que s’est-il passé quand vous vous êtes illuminé?

J’ai ri, d’un vrai rire sonore, en voyant toute l’absurdité d’essayer de s’illuminer. Toute l’histoire est ridicule, car nous naissons illuminés, et s’efforcer d’atteindre quelque chose qui est déjà là, c’est la chose la plus absurde qui soit. Si c’est déjà là, vous ne pouvez pas l’atteindre ; vous ne pouvez atteindre que ce que vous n’avez pas, que ce qui n’est pas une partie intrinsèque de votre être. Mais l’illumination est votre nature même.
J’avais lutté pendant bien des vies – cela avait été ma seule cible pendant bien des vies. Et j’avais fait tout ce qu’il est possible de faire pour l’atteindre, mais j’avais toujours échoué. C’était fatal – car cela ne peut pas s’atteindre. C’est votre nature, aussi comment pourriez-vous l’atteindre ? On ne peut pas en faire une ambition.
Le mental est ambitieux – il court après l’argent, le pouvoir, le prestige. Puis un jour, quand il en a marre de toutes ces activités extraverties, son ambition devient l’illumination, la libération, le nirvana, Dieu. Mais c’est toujours la même ambition, seul l’objet a changé. Tout d’abord, l’objet était à l’extérieur, maintenant il est à l’intérieur. Mais votre attitude, votre approche, n’a pas changé ; vous êtes la même personne dans la même ornière, la même routine.
 » Le jour où je me suis illuminé  » signifie simplement le jour où j’ai réalisé qu’il n’y a rien à atteindre, qu’il n’y a nulle part où aller, qu’il n’y a rien à faire. Nous sommes déjà divins et nous sommes déjà parfaits – tels que nous sommes. Aucune amélioration n’est nécessaire, aucune. Dieu ne crée jamais quelqu’un d’imparfait. Même si vous rencontrez un homme imparfait, vous verrez que son imperfection est parfaite. Dieu ne crée jamais rien d’imparfait.
J’ai entendu parler d’un maître Zen, Bokuju. Il disait cette vérité à ses disciples, il disait que tout est parfait. Un homme se leva – très âgé, un bossu – et il dit :  » Et moi ? Je suis un bossu. Que dites-vous de moi ?  » Bokuju dit :  » De ma vie, je n’ai jamais vu bossu aussi parfait. « 
Quand je dis :  » Le jour où j’ai atteint l’illumination « , le langage que j’utilise est faux – car il n’y a pas d’autre langage, ce langage est créé par nous. Il consiste en mots tels que accomplissement, conquête, buts, amélioration, progrès, évolution. Notre langage n’est pas créé par des gens illuminés ; et en fait ils ne peuvent pas créer de langage même s’ils le voulaient, car l’illumination a lieu dans le silence. Comment pourriez-vous mettre ce silence en mots ? Et quoi que vous fassiez, les mots vont détruire quelque chose de ce silence.
Lao Tzeu dit : dès l’instant où la vérité est formulée, elle devient fausse. Il n’y a pas moyen de communiquer la vérité. Mais on ne peut éviter le langage, on n’y échappe pas, alors on l’utilise, tout en sachant que face à l’expérience, il n’est pas adéquat. C’est pourquoi je dis ;  » Le jour où j’ai atteint mon illumination « . Elle n’est ni atteinte, ni mienne.
Ce jour-là, j’ai ri de tous mes efforts stupides et ridicules pour l’atteindre. J’ai ri de moi-même et de toute l’humanité, car tout le monde essaye d’atteindre, d’arriver, de s’améliorer.
Quant à moi, c’est arrivé dans un état de totale relaxation – c’est toujours ainsi que cela arrive. J’avais tout essayé. Puis, voyant le futilité de tout effort, j’ai abandonné ce projet. Je l’ai complètement oublié. Pendant sept jours, j’ai vécu aussi ordinairement que possible.
Les gens avec qui je vivais furent très surpris, car c’était la première fois qu’ils me voyaient vivre une vie très ordinaire. Auparavant, toute ma vie avait été une parfaite discipline.
J’avais vécu pendant deux ans avec cette famille et ils savaient que je me levais à trois heures du matin, que je partais pour une marche ou une course de six à huit kilomètres, puis que je me baignais dans la rivière. Tout était une routine absolue. Même si j’avais de la fièvre ou si j’étais malade, cela ne faisait aucune différence : je continuais tout de la même façon.
Ils m’avaient connu méditant pendant des heures. Jusque là, je n’avais pas beaucoup mangé. Je ne buvais ni thé ni café ; j’avais une discipline stricte concernant ce qu’il fallait manger et ne pas manger. Quand pendant sept jours je me suis détendu, quand j’ai abandonné toute recherche et quand je me suis réveillé à neuf heures du matin le premier jour et que j’ai bu du thé, la famille s’étonna. Ils s’exclamèrent :  » Que s’est – il passé ? Avez-vous succombé?  » Avant, ils me considéraient comme un grand yogi.
J’ai toujours une photo de cette époque. Je n’utilisais qu’une seule pièce d’étoffe et c’était tout. Le jour, je m’en habillais, la nuit j’en faisais ma couverture. Je dormais sur une natte de bambou. C’était mon seul confort – cette couverture, cette natte de bambou. Je n’avais rien – aucune autre possession. Quand je me suis réveillé à neuf heures, ils furent intrigués. Ils demandèrent :  » Quelque chose ne va pas. Etes-vous malade, gravement malade ? « 
Je répondis :  » Non, je ne suis pas gravement malade. J’ai été malade pendant de nombreuses années ; maintenant je suis en parfaite santé. Désormais, je ne me lèverai que quand le sommeil me quittera et je ne me coucherai que quand le sommeil viendra. Je ne serai plus esclave de la montre. Je mangerai tout ce que mon corps a envie de manger, et je boirai tout ce que j’ai envie de boire. Assez c’est assez. » Et en sept jours, j’ai complètement oublié tout le projet, et je l’ai oublié pour toujours.
Et le septième jour, cela arriva – comme si cela venait de nulle part. Et quand j’ai ri, le jardinier m’entendit. Il avait toujours cru que j’étais un peu fou, mais il ne m’avait jamais entendu rire de cette façon-là. Il accourut et dit :  » Qu’est-ce qui se passe ? « 
Je lui répondis :  » Ne vous en faites pas. Vous savez que je suis fou – à présent je suis devenu complètement fou ! Je ris de moi-même. Ne vous en offensez pas. Retournez simplement dormir.

Pendant de nombreuses vies j’avais travaillé – travaillé sur moi-même.

J’avais lutté, j’avais fait tout ce qu’il est possible de faire – et rien ne se passait. Maintenant je comprends pourquoi. L’effort lui-même était la barrière, l’échelle était l’obstacle. Le besoin de chercher était l’obstacle. Ce n’est pas qu’on puisse arriver sans chercher – chercher est une nécessité – mais vient un moment où la recherche doit être abandonnée. Le bateau est nécessaire pour traverser la rivière, mais vient un moment où vous devez sortir du bateau, l’oublier et le laisser derrière vous. L’effort est nécessaire, sans effort rien n’est possible. De même, par l’effort seul, rien n’est possible.
Juste avant le vingt et un mars 1953, sept jours avant, j’ai arrêté de travailler sur moi. Il arrive un moment où vous voyez toute la futilité de l’effort. Vous avez fait tout ce que vous pouviez faire et rien ne s’est passé. Vous avez fait tout ce qui est humainement possible. Que pouvez-vous faire d’autre ? Par pure impuissance, on laisse tomber toute recherche. Et le jour où la recherche s’arrêta, le jour où je n’ai plus rien cherché, où je ne me suis plus attendu à rien, cela commença à se produire. Une nouvelle énergie se manifesta – venant de nulle part. Elle ne venait d’aucune source. Elle venait de nulle part et de partout. Elle était dans les arbres et dans les rochers, dans le ciel, le soleil et l’air – elle était partout. J’avais cherché si intensément, j’avais cru que c’était très loin – et c’était si près, si proche ! Mes yeux s’étaient fixés sur le lointain, sur l’horizon, et ils avaient perdu la capacité de voir ce qui est tout près.
Le jour où l’effort cessa, moi aussi j’ai cessé – car vous ne pouvez pas exister sans effort, et vous ne pouvez pas exister sans désir, et vous ne pouvez pas exister sans lutter. Le phénomène de l’ego, du moi, n’est pas une chose – c’est un processus. Ce n’est pas une substance qui réside à l’intérieur de vous ; vous devez le créer à chaque instant. C’est comme de pédaler à bicyclette : tant que vous pédalez, cela avance ; si vous ne pédalez plus, cela s’arrête. Cela peut continuer un peu à cause de l’élan, mais dès que vous arrêtez de pédaler, en fait la bicyclette commence à s’arrêter. Elle n’a plus d’énergie, elle n’a plus le pouvoir d’aller nulle part. Elle va tomber, s’effondrer.
L’ego existe parce que le désir continue de nous faire pédaler, parce que nous persistons à vouloir obtenir quelque chose, parce que nous persistons à sauter en avant de nous-mêmes. C’est cela le phénomène de l’ego – le saut en avant de vous-même, le saut dans le futur, le saut dans le lendemain. Le saut dans le non-existentiel crée l’ego. Comme il vient du non-existentiel, c’est comme un mirage. Il ne consiste qu’en désir et rien d’autre. Il ne consiste qu’en soif, et rien d’autre.
L’ego n’est pas dans le présent, il est dans le futur. Si vous êtes dans le futur, l’ego semble alors être très existentiel. Si vous êtes dans le présent, l’ego est un mirage ; il se met à disparaître.
Le jour où j’ai arrêté de chercher… et ce n’est pas juste de dire que j’ai arrêté de chercher ; il vaudrait mieux dire le jour où la recherche s’arrêta. Laissez-moi le répéter : c’est mieux de dire le jour où la recherche s’arrêta. Car si je l’arrête, le  » Je  » est de nouveau là. Désormais, mon effort, mon désir c’est d’arrêter et le désir continue d’exister de façon très subtile.
Vous ne pouvez pas arrêter le désir, vous pouvez seulement le comprendre. L’arrêt se fait par la seule compréhension. Souvenez-vous que personne ne peut s’arrêter de désirer – et la réalité n’apparaît que quand le désir s’arrête.
Là est donc le dilemme. Que faire ? Le désir est là, et les bouddhas répètent constamment que le désir doit s’arrêter, et dans un même souffle, ils disent que vous ne pouvez pas arrêter le désir. Alors que faire ? Vous mettez les gens dans un dilemme. C’est certain qu’ils sont dans le désir. Vous dites qu’il doit s’arrêter – bien. Puis vous dites qu’il ne peut pas être arrêté. Alors qu’est-ce qu’il faut faire ?
Le désir doit être compris. Vous pouvez le comprendre, vous pouvez juste en voir la futilité. Il faut avoir une perception directe, une pénétration immédiate.
Le jour où le désir s’arrêta, je me sentis sans espoir et très démuni. Pas d’espoir, car pas de futur. Rien à espérer car tout espoir s’est avéré vain, il ne mène nulle part. Vous tournez en rond. Il miroite en face de vous, il crée sans cesse de nouveaux mirages, il persiste à vous appeler :  » Viens, cours vite, tu arriveras.  » Mais aussi vite que vous courriez, vous n’arrivez jamais. C’est comme l’horizon que vous voyez autour de la terre. Il apparaît, mais il n’est pas là. Si vous allez vers lui, il s’enfuit loin de vous. Plus vite vous courez, plus vite il s’éloigne; si vous allez lentement, il s’éloigne lentement Mais une chose est certaine – la distance entre vous et l’horizon reste absolument la même. Vous ne pouvez même pas réduire d’un seul centimètre la distance qui vous sépare de l’horizon.
Vous ne pouvez pas réduire la distance entre vous et votre espoir. L’espoir est l’horizon. Vous essayez de vous relier à l’horizon, à l’espoir, à un désir que vous projetez. Le désir est un pont – un pont de rêve, car l’horizon n’existe pas. Vous ne pouvez donc pas y construire un pont, vous ne pouvez que rêver du pont. Vous ne pouvez pas vous relier à ce qui n’est pas existentiel.
Le jour où le désir cessa, le jour où je l’ai sondé et ou j’ai réalisé qu’il était tout simplement futile, je fus impuissant et sans espoir. Mais à cet instant même quelque chose, ce pourquoi j’avais travaillé en vain pendant de nombreuses vies, commença à se passer. C’est dans l’absence d’espoir qu’est votre seul espoir, c’est dans l’absence de désir que se trouve votre seul accomplissement, et soudain, dans votre immense impuissance l’existence toute entière commence à vous aider.
L’existence attend. Quand elle voit que vous travaillez par vous-même, elle n’intervient pas. Elle attend. Elle peut attendre indéfiniment, car elle ne connaît pas la hâte. Elle est éternité. Au moment où vous n’êtes plus séparé – au moment où vous vous abandonnez, où vous disparaissez – l’existence toute entière se précipite vers vous, vous pénètre. Et pour la première fois, les choses commencent à se passer.
Pendant sept jours, j’ai vécu dans un état où l’espoir était totalement absent, un état d’impuissance, mais en même temps quelque chose naissait. Quand je dis  » sans espoir  » ce n’est pas ce que vous entendez par ce mot. Je veux simplement dire qu’en moi, il n’y avait pas d’espoir. L’espoir était absent. Je ne dis pas que j’étais désespéré et triste. En fait, j’étais heureux ; j’étais très tranquille, calme, recueilli et centré. Sans espoir, mais dans un sens totalement nouveau. Il n’y avait pas d’espoir, comment aurait-il donc pu y avoir du désespoir ? Tous deux avaient disparu.
L’absence d’espoir était absolue et totale. L’espoir avait disparu et avec lui, sa contrepartie, le désespoir avait également disparu. C’était une expérience totalement nouvelle : être sans espoir. Ce n’était pas un état négatif. Je dois utiliser des mots, mais ce n’était pas un état négatif. C’était absolument positif. Ce n’était pas juste une absence, une présence se faisait sentir. En moi, quelque chose débordait, m’inondait.
Et quand je dis que j’étais impuissant, je n’utilise pas ce mot au sens du dictionnaire. Je dis simplement que j’étais sans soi (selfless). C’est ce que je veux dire quand je dis impuissant. J’avais reconnu le fait que je ne suis pas – je ne peux donc pas dépendre de moi, je ne peux pas me tenir sur mes deux pieds. Il n’y avait pas de sol sous mes pieds, j’étais dans un abîme… un abîme sans fond. Mais il n’y avait aucune peur, car il n’y avait rien à protéger. Il n’y avait aucune peur, car il n’y avait personne pour avoir peur.
Ces sept jours furent une immense transformation, une transformation totale. Et le dernier jour la présence d’une énergie totalement nouvelle, d’une nouvelle lumière et d’une nouvelle joie, devint si intense que c’était presque insupportable – comme si j’explosais, comme si je devenais fou de béatitude. En Occident la jeune génération exprime cela avec justesse :  » j’étais blissed out, stoned « . (être pété)
C’était impossible de donner un sens à ce qui se passait. C’était un monde privé de sens – difficile à préciser, à mettre en catégories, difficile d’utiliser des mots, le langage, de donner des explications. Toutes les écritures semblaient mortes, et tous les mots qui ont été employés pour décrire cette expérience semblaient très pâles, anémiques. C’était tellement vivant. C’était comme une marée haute de béatitude.
Tout le jour fut étrange, renversant, ce fut une expérience bouleversante. Le passé disparaissait comme s’il ne m’avait jamais appartenu, comme si je l’avais lu quelque part. Comme si j’en avais rêvé, comme si j’avais entendu parler de l’histoire de quelqu’un d’autre. Je me dégageais de mon passé, j’étais déraciné de mon histoire. Je perdais mon autobiographie. Je devenais un non-être, ce que Bouddha appelle anatta. Les frontières disparaîssaient, les distinctions disparaîssaient.
Le mental disparaîssait, il était à des millions de kilomètres de distance. C’était difficile de s’en emparer, il s’éloignait de plus en plus et il n’y avait aucun besoin de le maintenir proche. Je lui étais simplement indifférent. C’était bien. Il n’y avait aucun besoin de maintenir une continuité avec le passé. Vers le soir, c’est devenu si difficile à supporter – cela faisait mal, c’était douloureux. C’est comme quand une femme entre en travail, quand un enfant va naître et que la femme est dans d’immenses douleurs – les affres de la naissance.
A cette époque, j’avais l’habitude d’aller dormir vers minuit ou une heure, mais ce jour-là, il me fut impossible de rester éveillé. Mes yeux se fermaient, il était difficile de les garder ouverts. Quelque chose était imminent, quelque chose allait se produire. C’était difficile de dire quoi – peut-être que cela allait être ma mort – mais il n’y avait aucune peur, j’étais prêt. Ces sept jours avaient été si beaux que j’étais prêt à mourir ; je n’avais plus besoin de rien. Ces jours avaient été d’une telle félicité, j’étais si comblé, que si la mort venait, elle était la bienvenue.
Mais il allait se passer quelque chose – quelque chose comme la mort, quelque chose de très radical, quelque chose qui serait soit une mort, soit une nouvelle naissance, une crucifixion ou une résurrection – quelque chose d’une immense portée était au coin de la rue. Et c’était impossible de garder mes yeux ouverts, j’étais comme drogué.
Je suis allé dormir vers huit heures. Ce n’était pas comme le sommeil. Maintenant je peux comprendre ce que Patanjali veut dire quand il dit que le sommeil et le samadhi sont semblables. Avec une seule différence, c’est que dans le samadhi vous êtes pleinement éveillé tout en étant endormi – endormi et éveillé à la fois. Tout le corps est détendu, chaque cellule du corps est totalement détendue, toutes les fonctions détendues et pourtant une lumière de conscience brûle en vous… claire, sans fumée. Vous restez alerte et pourtant relaxé, détendu mais pleinement éveillé. Le corps est dans le plus profond sommeil possible et votre conscience est à son sommet. Le sommet de la conscience et la vallée du corps se rencontrent.
Je suis allé dormir. Ce fut un sommeil très étrange. Le corps était endormi, j’étais éveillé. C’était tellement étrange – comme si j’étais tiraillé entre deux directions, deux dimensions ; comme si la polarité s’était complètement focalisée, comme si j’étais les deux pôles à la fois… le positif et le négatif se rencontraient, le sommeil et la conscience, la mort et la vie se rencontraient. C’est le moment où vous pouvez dire que le créateur et la création se rencontrent.
C’était bizarre. Pour la première fois, cela vous choque dans vos racines même, cela ébranle vos fondations. Après cette expérience, vous ne pouvez plus jamais être le même ; cela introduit une nouvelle vision dans votre vie, une nouvelle qualité.
Vers minuit, mes yeux s’ouvrirent soudain – ce n’est pas moi qui les ai ouverts. Le sommeil fut interrompu par quelque chose d’autre. Jai senti une grande présence autour de moi dans la pièce. La chambre était très petite. Je sentis une vie palpitant tout autour de moi, une grande vibration – presque comme un ouragan, un grand orage de lumière, de joie, d’extase. Je me noyais en lui.
C’était si intensément réel que tout le reste devint irréel. Les murs de la chambre devinrent irréels, la maison devint irréelle, mon propre corps devint irréel. Tout était irréel, car à présent, pour la première fois, la réalité était là.
C’est pourquoi, quand Bouddha et Shankara disent que le monde est maya, un mirage, cela nous est difficile de le comprendre. Car nous ne connaissons que ce monde, nous n’avons aucun point de comparaison. C’est la seule réalité que nous connaissons. De quoi parlent ces gens ? – ceci est maya, illusion ? C’est la seule réalité. A moins que vous ne connaissiez ce qui est réellement réel, vous ne pouvez pas comprendre leurs paroles. Elles restent théoriques, elles ressemblent à des hypothèses : Peut-être que cet homme propose une philosophie :  » Le monde est irréel. « 
En Occident, quand Berkeley a dit que le monde était irréel, il marchait avec l’un de ses amis, un homme très logique ; cet ami était presque un sceptique. Il prit une pierre sur la route et frappa violemment le pied de Berkeley. Berkeley hurla, son sang coula et le sceptique s’exclama :  » Eh! bien, le monde est irréel ? Tu dis que le monde est irréel ? Alors pourquoi as-tu crié ? Cette pierre est irréelle ? Alors pourquoi as-tu crié ? Pourquoi tiens-tu ta jambe et pourquoi ton visage exprime-t-il tant de douleur et d’anxiété ? Tout cela est irréel. « 
Ce type d’homme ne peut pas comprendre ce que Bouddha veut dire quand il affirme que le monde est un mirage. Il ne veut pas dire que vous pouvez passer à travers le mur. Il ne dit pas cela – il ne dit pas que vous pouvez manger des pierres, et que cela ne sera pas différent que si vous mangez du pain. Il ne dit pas cela.
Il dit qu’il y a une réalité : une fois que vous la connaissez, cette soi-disant réalité pâlit, elle devient simplement irréelle. Lorsque votre vision perçoit une réalité supérieure, la comparaison se fait, sinon pas.
Dans le rêve, le rêve est réel. Vous rêvez chaque nuit, et chaque matin vous dites que c’était irréel, et la nuit quand vous rêvez de nouveau, le rêve devient réel. Dans le rêve, c’est si difficile de se souvenir que c’est un rêve, mais le matin c’est si facile. Que se passe-t-il ? Vous êtes la même personne. Dans le rêve, il n’y a qu’une seule réalité. Comment comparer ? Comment dire que c’est irréel ? Comparé à quoi ? C’est la seule réalité. Tout est aussi irréel que tout le reste, il n’y a donc pas de comparaison. Le matin quand vous ouvrez les yeux, une autre réalité est là. Maintenant, vous pouvez dire que tout le rêve était totalement irréel. Comparé à cette réalité, le rêve devient irréel.
Il y a un éveil – comparée à la réalité de cet éveil, toute cette réalité-ci devient irréelle.
Cette nuit-là, je compris pour la première fois le sens du mot maya. Ce n’est pas que je ne connaissais ce mot auparavant, je n’ignorais pas la signification de ce mot. Comme vous la connaissez, moi aussi je la connaissais – mais je ne l’avais encore jamais comprise. Comment pouvez-vous comprendre sans expérience ? Cette nuit-là, une autre réalité ouvrit ses portes, une autre dimension apparut. Soudain elle était là, l’autre réalité, la réalité séparée – le réel vraiment réel, peu importe le mot que vous vouliez utiliser. Appelez-la Dieu, appelez-la vérité, appelez-la dhamma, Tao, ou ce que vous voulez. Elle était sans nom. Mais elle était là, si transparente et pourtant si solide qu’on aurait pu la toucher. Elle m’étouffait presque dans cette chambre. C’en était trop et je n’étais pas encore capable de l’absorber.
Un puissant élan me poussa à sortir de la pièce, à aller sous le ciel – cela m’étouffait. C’était trop ! Cela allait me tuer ! Si j’étais resté quelques instants de plus, j’aurais suffoqué – c’est ce qu’il me semblait. Je me précipitai hors de ma chambre et sortis dans la rue. J’avais un grand besoin d’être simplement sous le ciel avec les étoiles, avec les arbres, avec la terre… d’être avec la nature. Et immédiatement, quand je sortis, le sentiment d’étouffer disparut. C’était un lieu trop petit pour un phénomène si vaste. Même le ciel est petit pour un phénomène pareil. Il est plus vaste que le ciel. Pour lui, même le ciel n’est pas une limite. Alors, je me suis senti plus à l’aise.
J’ai marché vers le jardin le plus proche. C’était une marche totalement nouvelle, comme si la gravitation avait disparu. Je marchais, ou je courais, ou je volais simplement, c’est difficile à dire. Il n’y avait pas de gravitation, je me sentais sans poids – comme si une énergie me portait. J’étais entre les mains d’une autre énergie.
Pour la première fois, je n’étais plus seul, je n’étais plus un individu. Pour la première fois, la goutte était tombée dans l’océan. Désormais, tout l’océan était mien, j’étais l’océan. Il n’y avait aucune limitation. Un immense pouvoir se manifesta, comme si je pouvais tout faire. Je n’étais pas là, seul le pouvoir était là.
Je suis arrivé au jardin où j’allais tous les jours. Le jardin était fermé, fermé pour la nuit. C’était trop tard, c’était presque une heure du matin. Les jardiniers dormaient profondément. Je dus entrer comme un voleur, je dus escalader la grille. Mais quelque chose m’attirait vers le jardin. Je ne pouvais pas me retenir. Je flottais simplement.
C’est ce que je veux dire quand je répète sans cesse :  » Flottez avec la rivière, ne poussez pas la rivière.  » J’étais détendu, j’étais dans un laissez-faire. Je n’étais pas là, cela était là, appelez-le Dieu – Dieu était là. Je voudrais l’appeler cela, car Dieu est un mot trop humain et a été souillé pour avoir été trop employé, trop de gens l’ont pollué. Les chrétiens, les hindous, les musulmans, les prêtres et les politiciens – tous ont corrompu la beauté de ce mot. Aussi laissez-moi l’appeler cela. Cela était là, et j’étais simplement emporté… emporté par un raz de marée.
Au moment où je suis entré dans le jardin, tout devint lumineux – la bénédiction était partout. Pour la première fois, je pus voir les arbres – leur verdeur, leur vie, leur sève qui circulait. Tout le jardin était endormi, les arbres étaient endormis. Mais je pus voir que tout le jardin vivait, même les petits brins d’herbe étaient si beaux.
J’ai regardé autour de moi. Un arbre était extraordinairement lumineux – le maulshree. Il m’attirait fortement à lui. Je ne l’avais pas choisi, Dieu lui-même l’avait choisi. Je suis allé vers l’arbre et m’assis contre lui. Tandis que j’étais assis là, les choses commencèrent à se calmer. L’univers tout entier devint une bénédiction.
Il est difficile de dire combien de temps je suis resté dans cet état. Quand je suis rentré à la maison, il était quatre heures du matin, j’ai donc dû rester là pendant trois heures, mais ce fut une éternité. Cela n’avait rien à voir avec le temps d’une horloge. C’était hors du temps.
Ces trois heures devinrent toute l’éternité, une éternité sans fin. Il n’y avait pas de temps, le temps ne s’écoulait pas ; c’était une réalité vierge – incorrompue, intangible, non-mesurable.
Et ce jour-là, il s’est passé une chose qui a continué – non pas comme une continuité, mais comme un courant sous-terrain. Non pas comme une permanence – à chaque instant cela se reproduisait. A chaque instant, c’était un miracle.
Et depuis cette nuit-là, je n’ai plus jamais été dans le corps. Je plane autour de lui. Je devins incroyablement puissant et en même temps très fragile. Je devins très fort, mais cette force n’est pas celle d’un Mohammed Ali. Cette force n’est pas la force d’un rocher, c’est celle d’une rose – si fragile dans sa force, si sensible, si délicate.
Le roc demeure, la fleur peut disparaître à tout instant. Pourtant, la fleur est plus forte que le roc, car elle est plus vivante. Ou la force d’une goutte de rosée sur un brin d’herbe qui brille simplement au soleil du matin – si belle, si précieuse, et pourtant elle peut s’évaporer à tout moment. Si incomparable dans sa grâce, mais à la moindre brise, elle peut glisser et se perdre à jamais.
Les bouddhas ont une force qui n’est pas de ce monde. Leur force est de pur amour… comme une rose ou une goutte de rosée. Leur force est très fragile, vulnérable. Leur force est la force de la vie, pas de la mort. Leur pouvoir n’est pas celui de tuer, il est celui de créer. Leur pouvoir n’est pas violent, agressif, leur pouvoir est celui de la compassion.
Mais je n’ai plus jamais été dans le corps, je flotte simplement autour de lui. Et c’est pourquoi je dis que cela a été un miracle étonnant. A chaque instant, je suis surpris d’être encore là, cela ne devrait pas être le cas. J’aurais dû partir à tout moment, pourtant je suis là. Chaque matin, j’ouvre les yeux et je dis :  » Alors, je suis toujours là ?  » Car cela semble presque impossible. Le miracle n’a pas cessé.
L’autre jour quelqu’un m’a demandé :  » Osho, vous devenez si fragile, si délicat, si sensible aux odeurs de parfums et de shampoings qu’il semble qu’à moins de devenir tous chauves, nous ne pourrons plus vous voir.  » A propos, il n’y a rien de mal à être chauve, c’est beau ! De même que c’est beau d’être noir, c’est beau d’être chauve. Mais c’est vrai et vous devez y faire attention.
Je suis fragile, délicat et sensible. C’est là ma force. Si vous jetez une pierre sur une fleur, la pierre n’aura rien, mais la fleur disparaîtra. Pourtant, vous ne pouvez pas dire que la pierre est plus puissante que la fleur. La fleur mourra, parce qu’elle était vivante. Et la pierre – rien ne lui arrivera, car elle est morte. La fleur disparaîtra, car elle n’a pas la force de détruire. Elle disparaîtra simplement, elle cèdera sa place à la pierre. La pierre a le pouvoir de détruire, car elle est morte.
Rappelez-vous que depuis ce jour, je n’ai plus jamais été vraiment dans le corps ; seul un fil délicat me relie au corps. Et je m’étonne sans cesse de ce que, d’une certaine manière, le tout doit me vouloir ici – car ce ne sont pas mes forces qui me gardent ici, je ne suis plus ici de moi-même. Ce doit être la volonté du tout de me garder ici, de me permettre de m’attarder encore un peu sur cette rive. Peut-être qu’à travers moi, le tout désire partager quelque chose avec vous.
Depuis ce jour, le monde est irréel. Un autre monde s’est révélé. Quand je dis que le monde est irréel, je ne veux pas dire que ces arbres sont irréels. Ces arbres sont absolument réels – mais la façon dont vous les voyez est irréelle. Ces arbres ne sont pas irréels en eux-mêmes – ils existent en Dieu, ils existent dans une réalité absolue – mais la façon dont vous les regardez sans jamais les voir… Vous voyez quelque chose d’autre, un mirage.
Vous créez votre propre rêve autour de vous, et à moins de vous éveiller vous continuerez à rêver. Le monde est irréel, parce que le monde que vous connaissez est le monde de vos rêves. Quand les rêves tombent et que vous affrontez simplement le monde qui est là, alors le monde réel apparaît.
Il n’y a pas deux choses, Dieu et le monde. Dieu est le monde si vous avez des yeux, des yeux clairs, sans aucune poussière de rêves, sans aucune brume de sommeil. Si vous avez un regard clair, une clarté, une perceptivité, il n’y a que Dieu.
Alors quelque part Dieu est un arbre vert, et ailleurs il est une étoile brillante ; quelque part il est un coucou, et ailleurs il est une fleur, un enfant, une rivière – alors seul Dieu est. A l’instant où vous voyez, seul Dieu est.
Mais pour le moment ce que vous voyez n’est pas la vérité, c’est la projection d’un mensonge. C’est ce que signifie le mot mirage. Et une fois que vous voyez – ne serait-ce que le temps d’une seconde, si vous pouvez voir, si vous vous permettez de voir – vous découvrirez qu’une immense bénédiction est partout présente, partout, dans les nuages, dans le soleil, sur la terre.
Ce monde est beau. Mais je ne parle pas de votre monde, je parle du mien. Votre monde est très laid, c’est un monde créé par un moi, c’est un monde projeté. Vous utilisez le monde réel comme un écran où vous projetez vos propres idées.
Quand je dis que le monde est réel, qu’il est d’une grande beauté, qu’il rayonne d’infini, qu’il est lumière et joie, une célébration, je parle de mon monde – où du vôtre si vous laisser tomber vos rêves.
Cette nuit-là, je devins vide et je devins plein. Je devins non-existentiel et je devins l’existence. Cette nuit là, je mourus et naquis à nouveau. Mais celui qui vécut cette nouvelle naissance n’a rien à voir avec celui qui mourut, c’est quelque chose de discontinu. En surface cela a l’air continu, mais c’est discontinu. Celui qui mourut, mourut totalement ; il ne resta rien de lui.
J’ai connu bien d’autres morts, mais elles n’étaient rien comparée à celle-ci, elles étaient des morts partielles.
Parfois le corps meurt, parfois une partie du mental meurt, parfois une partie de l’ego meurt, mais en ce qui concerne la personne, elle subsiste. Plusieurs fois rénovée, redécorée, un peu modifiée ici et là, mais elle subsiste, la continuité demeure.
Cette nuit-là, la mort fut totale. Ce fut un rendez-vous avec la mort et avec Dieu simultanément.

L’illumination est un processus très individuel.

Cette individualité a créé beaucoup de problèmes. Tout d’abord, il n’y a pas d’étapes fixes qu’une personne franchit nécessairement. Chaque personne traverse différentes phases, car durant de nombreuses vies, chacun a accumulé toutes sortes de conditionnements.
Ce n’est donc pas une question d’illumination, c’est une question de conditionnements – ce sont eux qui créent votre voie. Et chacun vit des conditions différentes, deux personnes n’auront donc pas la même voie. C’est pourquoi j’insiste constamment : il n’y a pas d’autoroutes, il n’y a que des sentiers – et même ceux-là ne sont pas préfabriqués. Vous ne les trouvez pas déjà tracés pour n’avoir plus qu’à les suivre – non. C’est en marchant que vous les créez. C’est votre marche qui les crée.
Il est dit que la voie de l’illumination est semblable à un oiseau qui vole dans le ciel : il ne laisse aucune trace derrière lui ; personne ne peut suivre les traces de l’oiseau. Chaque oiseau devra créer ses propres traces, qui disparaîtront au fur et à mesure qu’il poursuit son vol. Telle est la situation, c’est pourquoi il n’est pas possible qu’il y ait un guide et quelqu’un qui le suive. C’est pourquoi je dis que les gens comme Jésus, Moïse, Mahommet, Krishna – qui disent :  » Croyez simplement en moi et suivez-moi  » – ne connaissent rien à l’illumination.
Sinon, cette déclaration serait impossible. Quiconque s’est éveillé sait qu’il n’a laissé aucune trace derrière lui ; c’est donc absurde de dire aux gens :  » Venez et suivez-moi. « 
Il n’est donc pas nécessaire que quelqu’un d’autre traverse la même chose que moi. Il est possible de rester normal et soudain, de s’éveiller.
S’il y a cinquante personnes dans la même pièce et que tous s’endorment, chacun aura son propre rêve. Vous ne pouvez pas avoir un rêve commun, c’est impossible. Il n’y a pas moyen de créer un rêve commun. Votre rêve sera le vôtre, mon rêve sera le mien, et nous serons en différents endroits, dans des rêves différents. Et quand nous nous réveillerons, je me réveillerai à un certain stade de mon rêve, et vous à un autre. Comment peuvent-ils être les mêmes ?
L’illumination n’est rien d’autre que l’éveil. Pour l’être illuminé, toutes nos vies ne sont que des rêves. Ce peuvent être de bons rêves, de mauvais rêves, des cauchemars, des rêves très beaux et agréables, mais ce ne sont toujours que des rêves.
Vous pouvez vous éveiller à tout instant. C’est toujours votre potentialité. Parfois, vous pouvez faire un effort pour vous réveiller et vous trouvez que c’est difficile. Il se peut que vous ayez des rêves où vous essayez de crier, mais vous n’y arrivez pas. Vous voulez vous réveiller et sortir du lit, mais vous n’y arrivez pas, tout votre corps est comme paralysé.
Le matin, vous vous réveillez et vous riez simplement de tout cela. Mais au moment où cela se passait, cela ne vous faisait pas rire du tout. C’était vraiment sérieux. Votre corps était à moitié mort, vous ne pouviez pas bouger les mains, vous ne pouviez pas parler, vous ne pouviez pas ouvrir les yeux. Vous saviez que vous étiez foutus ! Mais le matin, vous n’y faites plus du tout attention ; vous ne vous demandez même pas ce qui s’est passé. Rien que de savoir que c’était un rêve, cela perd tout son sens. Vous êtes réveillé – que les rêves aient été bons ou mauvais n’a aucune importance.
C’est la même chose pour l’illumination. Toutes les méthodes employées n’existent que pour créer une situation où votre rêve est brisé. Le degré d’attachement au rêve, la profondeur du sommeil différeront d’individu à individu. Mais toutes les méthodes ne sont là que pour vous secouer afin que vous puissiez vous réveiller. Peu importe à quel stade vous vous éveillerez.
Ainsi ma dépression et ma percée ne se produiront pas chez tout le monde. C’est ainsi que cela s’est passé pour moi et il y avait des raisons pour que cela se passe ainsi. Je travaillais sur moi, seul et sans amis, sans compagnons de route, sans commune. En travaillant seul, il est inévitable de rencontrer beaucoup de difficultés, car il y a des moments qui ne peuvent être appelés que les nuits obscures de l’âme. Si obscures et si dangereuses, qu’il semble que vous allez rendre votre dernier soupir, que la mort est là, qu’il n’y a rien d’autre. Cette expérience est une dépression.
Affronter la mort, sans personne pour vous soutenir et vous encourager… personne pour vous dire de ne pas vous inquiéter, que cela passera, ou que ce n’est qu’un cauchemar et que le matin est très proche. Plus la nuit est obscure, plus le lever du soleil est proche. Il n’y a pas à s’inquiéter. N’avoir personne à qui faire confiance, n’avoir personne qui me fasse confiance, c’était la cause de la dépression. Mais ce n’était pas un mal. Sur le moment, cela y ressemblait, mais bientôt la nuit obscure se dissipa et le soleil était là, la dépression s’était transformée en percée.
Cela se produira différemment pour chaque individu. Et il en est de même après l’illumination. L’expression de l’illumination sera différente. Cela aussi a créé de grandes difficultés.
Croire qu’il n’y a qu’une seule manière de s’éveiller créa de grandes difficultés. Par exemple, si je devais fonder une religion, ceci serait un point fondamental : je dirais que l’illumination passe d’abord par une dépression nerveuse, sans laquelle il n’y a pas de percée possible. C’est ainsi que toutes les religions ont été créées : des individus imposent leur expérience à toute l’humanité, sans tenir compte de l’unicité de chaque individu. C’est le même problème après l’illumination. Mahavira est resté nu ; par conséquent, pendant vingt-cinq siècles les disciples de Mahavira qui l’ont suivi jusqu’à l’extrême, sont restés nus. Cela devint une nécessité absolue. Les jaïns ne considèrent pas que Bouddha est illuminé parce qu’il n’est pas nu ! Un phénomène personnel devient désormais un critère universel – cela aussi est faux.
Ce qui arriva à Mahavira fut sa floraison individuelle. Il était vraiment l’un des plus beaux hommes qui soit et cela aurait été une honte qu’il mette des vêtements. Son corps valait la peine d’être vu.
Il était le fils d’un roi et son père s’intéressait vivement à l’art indien de la lutte ; il forma Mahavira à la lutte indienne. Il voulait qu’il devienne le champion de tout le pays – et il aurait pu être un champion, son corps était d’acier. Son éducation exigeait que ses journées entières soient consacrées à un seul but : devenir le champion de lutte du pays. Naturellement, on entraînait son corps. Il était bien proportionné, on en prenait minutieusement soin. De grands lutteurs l’entraînaient, on le massait, des experts lui administraient des plantes et des médicaments – on le préparait de toutes les manières possibles.
Puis il renonça au monde. Au lieu de devenir un lutteur, il devint un méditant. Et quand il s’éveilla, il abandonna ses habits. Il n’avait qu’une seule étoffe dont il recouvrait son corps et, après son illumination, tandis qu’il descendait d’une colline, un mendiant lui demanda quelque chose, car il faisait si froid et il n’avait rien. Mahavira se regarda. Il n’avait qu’un châle qu’il déchira en deux et il en donna la moitié au mendiant. Il garda l’autre moitié pour lui – cela ne suffisait plus pour recouvrir son corps. En redescendant dans la vallée, un rosier accrocha ce morceau de châle dans ses épines. Il se retourna et dit en riant :  » C’en est trop ! Je n’ai jamais rien refusé à personne, tu peux aussi prendre cette moitié. De toute façon, elle ne sert à rien. C’est ridicule de ne pas l’avoir donnée au mendiant, que fera-t-il d’une moitié ? Si elle ne me couvre pas, elle ne le couvrira pas. Tu peux la prendre. Peut-être que le mendiant passera par là et qu’il prendra cette autre moitié.  » C’est ainsi qu’il devint nu.
Mais il appréciait le soleil matinal et l’air frais dans ce pays le plus chaud de l’Inde, le Bihar. Et il se sentait si léger qu’il se dit :  » A quoi bon ?  » Et il ne demandait jamais rien à personne. Il donnait tout ce qu’on lui demandait, mais il ne demandait jamais rien à personne. Il resta nu. Mais ce n’est pas nécessairement par là que tout éveillé doit passer. Bouddha n’est jamais resté nu, pas plus que Lao Tzeu ou Kabir.
Cela a été un problème très important pour les religions. Ils ne peuvent pas accepter d’autres éveillés, pour des questions de détails, parce qu’ils ne se conforment pas à leurs idées. Ils doivent correspondre à un certain concept, et ce concept est dérivé de leur propre fondateur. Et personne ne peut s’y conformer, c’est pourquoi tous les autres sont taxés de non-éveillés.
L’illumination est un chant très individuel – toujours inconnu, toujours neuf, toujours uniquel. Ce n’est jamais une répétition. Ne comparez donc jamais deux êtres éveillés ; sinon vous ferez forcément injustice à l’un ou à l’autre, ou aux deux. Et n’ayez pas d’idée fixe. Ne retenez que des qualités très liquides. Je dis des qualités liquides, je ne dis pas des qualifications très établies.
Par exemple, tout être éveillé aura un profond silence – presque tangible. En sa présence, ceux qui sont ouverts, réceptifs, deviendront silencieux. Il vivra dans un profond contentement, rien de ce qui arrive ne pourra l’affecter.
En lui, il ne restera plus de questions, toutes les questions se seront dissoutes – non qu’il connaisse toutes les réponses, mais toutes les questions se sont dissoutes. Et dans cet état de complet silence, de non-mental, il est capable de répondre à n’importe quelle question avec une grande profondeur. Il n’a pas besoin de se préparer. Lui-même ne sait pas ce qu’il va dire, cela vient spontanément ; parfois, il en est lui-même surpris. Mais cela ne veut pas dire qu’il a les réponses en lui, toutes faites. Il n’a aucune réponse. Il n’a aucune question. Il n’a qu’une clarté, une lumière qui peut se focaliser sur n’importe quelle question, et soudain, toutes les implications de la question, toutes les possibilités d’y répondre deviennent claires.
Parfois, vous constaterez que vous demandez quelque chose et que l’être illuminé répond quelque chose d’autre. C’est parce que vous n’êtes pas conscient des implications de votre propre question. Il ne répond pas qu’à vos paroles. Il vous répond à vous. Il répond au mental qui a produit la question. C’est pourquoi souvent la question et la réponse n’ont pas l’air de correspondre, mais c’est certain qu’elles se rencontrent. Vous devrez seulement creuser un plus profondément la question, et vous découvrirez que c’était exactement la question. Il vous arrivera souvent de comprendre votre question une fois qu’il y aura été répondu, car vous n’aviez pas pris conscience de cette dimension, vous n’étiez pas conscient de votre propre mental, de votre inconscient, d’où ces mots avaient jailli.
Mais l’être illuminé n’a pas de réponses, pas d’écritures, pas de citations. Il est simplement disponible ; tout comme un miroir, il répond, et il répond avec intensité et totalité.
Ce sont donc là des qualités liquides, ce ne sont pas des qualifications. Ne vous arrêtez pas à des détails – ce qu’il mange, ce qu’il porte, où il habite – tout cela est sans importance. Observez simplement son amour, sa compassion, sa confiance. Même si vous abusez de sa confiance, celle-ci n’est pas altérée. Même si vous abusez de sa compassion, si vous trompez son amour, cela ne fait aucune différence. C’est votre problème. Sa confiance, sa compassion, son amour restent les mêmes.
Le seul effort de sa vie sera de réveiller les gens. Quoi qu’il fasse, derrière chaque acte, son seul but c’est de réveiller de plus en plus de gens, car grâce à l’éveil, il a connu la félicité ultime de la vie.

J’ai découvert Osho quand j’étais jeune et je n’avais alors rien compris à ce qu’il écrivait. Je l’ai donc laissé de côté jusqu’à il y a quelques mois à peine, lorsque tout naturellement il s’est représenté à moi… Ce fut alors « la » Révélation. J’ai vite compris qu’en fait, cela faisait écho à ma vie et tout est devenu évident.

Serge Fige

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